La souffrance au travail est de plus en plus répandue et le déséquilibre entre la vie personnelle et vie professionnelle est de plus en plus sujet de plaintes. Elle affecte non seulement la vie professionnelle mais aussi possiblement la vie personnelle et familiale et peut conduire à des situations de souffrances chroniques. Elle représente un coût humain et économique à considérer de toute urgence. De nombreuses personnes dans cette situation se sentent impuissantes et continuent à subir parfois pendant de longues années une souffrance dont pourtant il est possible de sortir. De nombreuses pistes s’offrent à qui se sent enfermé dans un cadre qui ne lui convient pas : partir, rester et aménager, se former, déménager, mais encore…. Ces situations engendrent très souvent mutisme et crispation, et pourtant le changement est possible pour tous, et se construit en mettant petit à petit ses œufs dans d’autres paniers. Cette distance, cette prise de conscience demande souvent du courage, parfois un accompagnement (coaching, psychothérapies..) car changer d’orientation professionnelle, ce n’est pas seulement changer de travail mais profondément transformer notre rapport à nous-mêmes, avec patience, confiance et écoute de soi.
Frédérique Lallemend(1), psychologue, spécialisée en clinique du travail, s’intéresse de près à ces questions : « Pour se construire, nous avons tous besoin d’un contexte affectif aimant et sécurisant ainsi que d’une vie professionnelle et/ou sociale épanouissante. Cet équilibre concerne les hommes comme les femmes, que le travail soit rémunéré ou non. Aujourd’hui, on constate chez certaines personnes un surinvestissement dans le travail. Que signifie-t-il ? Cela atteste sans nul doute d’une souffrance ; surinvestir permet de paralyser la pensée pour ne plus avoir mal. Mais mal de quoi ? Souvent, il s’agit d’un manque de reconnaissance dans l’environnement professionnel. Face à cet espoir déçu et pour éviter de souffrir davantage, la personne dans ce contexte continuera à investir toujours plus dans le travail, éventuellement jusqu’au burn-out, jusqu’à négliger sa santé et sa vie personnelle (famille, loisirs, vacances, sports, cercle d’amis…). La souffrance de cette situation sera peut-être niée ou biaisée, ne permettant pas à la personne prise dans cette spirale de reprendre confiance en elle. Au contraire, au fur et à mesure, son estime de soi diminuera, elle pourra se demander, elle qui en fait tant, pourquoi elle n’est pas apte à recevoir cette reconnaissance tant attendue. La culpabilisation de ne pas arriver à cette reconnaissance tant espérée malgré tant de moyens finira par la fragiliser. Cet équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle est un des premiers axes de travail lorsque j’accompagne des cadres ou dirigeants à penser leur travail voire même des patients en consultations individuelles. Souvent les situations rencontrées, parfois répétitives, mettent en lumière où se trouve une difficulté à dépasser, il s’agira dès lors d’apprendre à s’écouter pour (re)devenir acteur de sa vie. »
se poser des questions qui font prendre du recul
Comment se poser les questions qui nous font avancer ? Pour interroger le sens que nous mettons dans nos activités, il faut rechercher à haute et intelligible voix ce qui nous motive, ce qui nous fait lever matin frais et dispos. Frédérique Lallemend nous donne quelques pistes pour interroger son projet professionnel :
- Qu’est-ce que je recherche dans mon travail?
- Quelles sont les priorités dans mon travail ?
- pourquoi est-ce que je fais ce métier ?
- Qu’est ce qui me plaît ? Qu’est-ce qui me plaît moins ?
- qu’est-ce qu’il m’apporte ?
- est-ce que je me sens reconnu dans ma profession?
- Est-ce que mon implication est appréciée ?
- Est-ce que je me sens utile ?
- Est-ce que ce que l’on me demande d’accomplir à un sens pour moi ?
- Puis-je faire preuve d’initiatives ?
Si vous vous plaignez sans cesse, que votre activité vous rend malheureux, que vous traînez les pieds chaque jour pour aller travailler, voici quelques critères majeurs de souffrance au travail :
- Ne pas avoir envie de se rendre au travail ou avoir peur d’aller au travail
- Ne plus prendre le temps de déjeuner ou déjeuner chaque jour en face à face avec votre écran d’ordinateur
- Se sentir submerge(é)
- Avoir le sentiment d’être incompétent(e)
- Avoir le sentiment d’être perdu(e) ou impuissant(e)
- Ressentir fortement le stress
- Se sentir peu soutenu(e), peu encouragé par ses pairs
- Se sentir seul(e) ou avoir tendance à s’isoler
- Se sentir harcelé(e)
- Pleurer au travail
- Quitter le travail de plus en plus tard
- Penser encore à votre travail pendant les temps de loisirs
- Ne plus sourire, ni rire
- Ne plus trouver d’énergie pour réaliser vos activités personnelles ou familiales
- Se sentir incompris pas votre entourage familial ou amical à force de ressasser sans cesse cette souffrance au travail
- Souffrir de problèmes de sommeil
- Souffrir d’une baisse de concentration et de troubles de l’attention de plus en plus marqués
- Consommer de plus en plus de psychotropes, anxiolytiques et/ou antidépresseurs, de tabac, d’alcool
- Souffrir par exemple de maux de dos chroniques, d’ulcères, de maux de tête, de fatigue corrélés à l’état de souffrance psychique
La conscience de la souffrance, son ressenti, son expression
Tout a un sens qui s’éclaire si on arrive à l’entendre, à l’écouter, seul ou accompagné.
Frédérique Lallemend : «Pour appréhender au mieux les contraintes et les épreuves imposées par la réalité de l’activité quotidienne et pour pouvoir aussi se décharger de ses souffrances individuelles, il est salvateur de pouvoir les exprimer à un tiers extérieur à la situation. Oser dire permet de déposer ce qui fait mal, ce qui apporte reconnaissance et soulagement. Cette expression émotionnelle, ces différents ressentis verbalisés permettent ensuite de mettre de la distance entre soi-même et les raisons de la difficulté traversée pour l’observer. Cettemise à distance va de créer un espace de réflexion afin d’interroger ce qui se passe : quel sens a pour moi ce mal de dos ? Qu’est-ce que je ne veux plus vivre ? et ainsi de trouver des leviers qui permettent de dénouer des nœuds affectifs, d’affronter les épreuves et surtout de retrouver son « pouvoir d’agir », de développer ses propres capacités et d’élaborer de solutions nouvelles. »
Ce pas de géant, qui consiste à sortir de l’impuissance, requiert le plus souvent l’aide d’un accompagnant, spécialisé dans ce domaine. A qui s’adresser?
- Au médecin traitant
- Au psychiatre
- Au sein de l’entreprise, au médecin du travail qui pour rappel est soumis au secret médical et peut interpeller l’entreprise
- Les délégués syndicaux, les délégués du personnel, le CHSCT
- Les psychologues cliniciens du travail ou psychothérapeutes ou autre professionnel de santé spécialisés dans ce domaine
S’exposer et s’autoriser à parler de soi impliquent un cadre sécurisant et contenant. Savoir qu’il est possible de parler, dans un cadre défini destiné à accueillir l’expression de difficultés et d’y trouver des ressources, permet de mieux faire face à la réalité de l’activité. Pour permettre expression, soutien et briser la solitude, Frédérique Lallemend a créé un groupe de paroles « Souffrance au Travail ». Son objectif est multiple :
« un groupe de parole est un lieu d’expression et d’échanges permettant à chacun :
- d’interroger le vécu et les émotions au travail ;
- de partager les difficultés rencontrées ;
- de s’enrichir de la différence de l’autre ;
- de travailler la compréhension des situations et des interactions professionnelles ;
- de mobiliser et/ou remobiliser des ressources personnelles contre :
- le sentiment d’impuissance, l’isolement, l’envie de baisser les bras,
- le stress, l’épuisement professionnel,
- la colère et l’agressivité contre soi ou les autres,
- la souffrance au travail.
Le groupe permet de stimuler les encouragements et de développer la solidarité entre participants. Le groupe devient le témoin des changements, des réussites et des évolutions de chacun dans son parcours. Dans tous les cas, il est recommandé ne pas rester seul. Ne rien faire ou laisser faire, c’est toujours faire quelque chose. Vous avez le choix d’agir ou de ne pas agir, conclut Frédérique Lallemend. L’ennui et la peur sont les deux périls psychiques au travail : dans tous les cas, on les retrouve dans toutes les situations de difficultés au travail. »
Une fois cette mise à distance accomplie, il s’agit de se pencher sur l’avenir : que peut-il se passer ?
- Retour au poste après modification de l’environnement de travail
- Mutation
- Négociation de départ avec rupture conventionnelle par exemple
- inaptitude médicale
- formation
De toutes les façons, il vaut mieux quitter une situation professionnelle créatrice de souffrance, de non reconnaissance, et de non-respect du travail que d’y rester. Pour la personne, pour l’entreprise et pour la société toute entière.
La motivation pour changer ou l’exercice de la plongée sous-marine.
Trouver sa motivation nécessite souvent d’aller rechercher au fond de soi ce qui fait sens pour nous, et souvent pour nous seuls. Il est rare de pouvoir faire l’économie d’une enquête sur soi. Isabelle Metenier (2), auteur de deux livres sur la souffrance au travail et l’accomplissement personnel, nous aide à se poser des questions pour faire grandir la motivation. On peut se poser des questions du type : quel est le but de mon existence, pourquoi suis-je sur terre, qu’est-ce que j’aurai envie de réaliser si je n’avais pas d’obstacles financiers, familiaux, intellectuels ou émotionnels, qu’est-ce que j’ai envie de transmettre, est-ce que je veux laisser une trace de mon passage, qu’est-ce que je ferais s’il me restait un an à vivre ? Dans cette quête, pour également focaliser sur de très petites questions qui aident souvent à avancer, on peut d’abord de nommer ce qui nous plaît dans la vie, nous fait plaisir, justement ce qui nous motive, pour ensuite arriver à visualiser un objectif. Ce qui nous fait plaisir est ce qui fait sens pour nous. Cette équation qui n’est pas évidente pour tous à priori est pourtant bel est bien ce qui va produire notre dopamine, ce neurotransmetteur du plaisir qui est beaucoup plus actif quand nous nous rendons à un rendez-vous amoureux que quand nous devons accomplir une tâche qui nous est personnellement rébarbative. Qu’est-ce qui me procure du plaisir ?même petit, même fou, même un peu cher, je dois trouver les moyens de me l’accorder pour trouver le sens de mon parcours personnel. Vivre, c’est pas additionner des contraintes.
Chaque personne aura des critères personnels qui entreront dans la construction de leur projet : être utile, rencontrer des personnes, apporter quelque chose au monde, être créatif dans les arts, dans les idées, créer une association, partager, être salarié ou pas ? On peut aussi poser la question autrement : qu’est-ce qui me manque le plus dans la vie ? le contact humain ? l’exercice de ma créativité ? le temps, la sécurité ?
L’une des clés consistera se reconnecter à sa sensibilité et à sa créativité. Nous sommes souvent sous pilotage automatique, devenant avec le temps et les charges de travail, de plus en plus insensibles à soi ni et aux autres. Il faudra sortir du bruit et de la course permanente, s’extraire de l’agitation et/ou de la production, arrêter de courir, se détendre, accepter d’être en contact avec ses émotions, ce qui peut prendre un certain temps et passe parfois par le silence et le vide, et peut être anxiogène, c’est pourquoi un accompagnement est dans cette phase vivement recommandé sous peine de rester sur le seuil. Un bilan de compétence, s’il est bien conduit, peut être utile, surtout s’il s’appuie sur l’histoire de vie de l’intéressé .Il faut parfois s’arrêter et voir ce qui se passe. Si l’angoisse monte, c’est justement le signe qu’il est grand temps de se poser. La souffrance au travail indique que la personne s’est perdue, elle a perdu le lien vital a elle-même, c’est la plus grande des souffrances. Et inversement, parler de ce que vous aimez, animera votre esprit et illuminera votre visage. Ce sera le début de votre route. Vous pourrez vous aider de tous les outils : psychothérapies de soutien, respiration, relaxation, méditation, sophrologie, massages… ou tout autre moyen qui vous fera plaisir.
Le beurre et l’argent du beurre, faire le deuil d’une partie de soi
Rencontrer autre chose demande un travail préalable destiné à rencontrer ses ressources propres et à prendre confiance en soi. Il faudra à attentif à bien rester centré sur ses objectifs en se gardant des critique, des commentaires, des conseils qui ne manquent jamais de pleuvoir dans ce type de situation. Entre injonction et permission, il s’agira d’ouvrir des fenêtres pour ensuite sortir par la porte, la grande porte même. C’est toujours un mauvais calcul de rester par sécurité, car plus on s’enfonce, moins on a de force. Je pense à cette personne, employé de banque depuis vingt ans et dépressif. Il avait accepté de suivre le vœu de sa mère qui voyait dans la banque la sécurité. Après une remise en question fondamentale, il s’est tourné vers ce qui faisait sens pour lui, la relation d’aide ; il propose des bilans de compétences, aide les jeunes à s’orienter, il a retrouvé une énergie fantastique ! Je pense aussi à ce restaurateur qui était également pianiste, aujourd’hui, il a monté un festival il n’est plus que dans la musique et heureux. Il s’agira de privilégier un environnement favorable pendant ce processus de transformation : surveillez vos fréquentations : allez à la rencontre des gens que vous admirez, fuyez ceux qui ont peur, qui ne bougent pas, discutez avec des gens qui sont dans la même énergie que vous, qui ont vécu des remises en question, ils pourront être pour vous motivants et encourageants. Changer de vie, c’est parfois changer d’amis. Si on ébranle un pan de sa vie, il faut s’attendre à voir bouger d’autres domaines, c’est normal. On ne peut pas toujours avoir le beurre et l’argent du beurre. Il s’agira de se forger sa propre vision, sans l’amputer sans cesse de ce fameux : oui MAIS. Dire ceci est bon pour moi, mais…. , donc je ne le fais pas, c’est rater une occasion de mettre du sens dans sa vie. Cela ne signifie pas se précipiter sans discernement pour faire tout ce qui passe par la tête : c’est construire, se donner la possibilité dans une heure ou un an de mettre en place qui tient à cœur. Et non se saboter. Une personne qui se sent en insécurité financière préférera des séances de thérapie plus courtes pour payer moins cher alors qu’elle aurait besoin du contraire. Plus elle s’enferre dans cette direction, plus elle s’enferme dans son problème. L’argent est la barrière la plus usitée. L’argent, je l’ai constaté à maintes reprises, est un faux problème. C’est souvent un bon prétexte pour ne rien faire. Ce n’est pas pour cela qu’il faut émuler la question, justement on va essayer de comprendre : on peut avoir des problèmes d’argent pour plein de raisons : la façon dont on le dépense, des besoins, les habitudes. Par exemple, une femme qui a consacré sa vie à l’éducation des enfants, financièrement dépendante de son mari, aura un problème différent de quelqu’un qui travaille et qui est surendetté. L’abondance amène l’abondance et la restriction, la restriction.
Accepter de déranger et d’être dérangé est une clé majeure du changement
Si vous sentez que quelque est bon pour vous, profondément, du fond du cœur, faites-le, sinon vous vous couperez de votre source. Si on désire changer, quel que soit ce changement, on est obligé de prendre des risques. On est obligé de se mettre en fragilité, en déséquilibre. Il ne s’agit pas de sauter pieds joints dans un précipice car on a envie de faire du parachute, mais de poser des jalons, pour petit à petit s’approcher de l’autre bord et quand le pied sera suffisamment assuré sur l’autre bord, on lâchera sans regarder derrière soir l’autre bord. Les personnes ont une certaine représentation de leurs ressources, comme inamovibles, mais il ne s’agit que d’une représentation, ce n’est pas la réalité. Il y a des milliards de voies pour changer : on peut accepter des compromis, demander des mi-temps ou une formation, partir avec une rupture conventionnelle, rester mais dans un autre poste, d’autres conditions, une autre localisation géographique. Il faut juste oser et arrêter d’avoir peur : oser demander une augmentation, oser demander un 4/5ème de temps, oser demander plus de responsabilités… La politique des petits pas est une bonne politique dans un premier temps : parfois juste refuser une tache en trop, être capable de dire non, expérimenter de dire non. Avant d’aller en Chine, il faut d’abord aller dans son jardin. » Dans notre vie, il y a des moments ou des choses dont on a l’intime conviction qu’elles sont justes pour soi et d’autres non. Ce sont des aspects qu’il faut petit à petit multiplier tout en limitant, dans la mesure du possible ce qui nous agrée moins. Nous ferons œuvre utile pour nous-même, mais également pour tous.
Raissa Blankoff
(2) Isabelle Metenier
Psychosociologue – Analyste transactionnelle
Développement Humain – Formation – Coaching
www.isabellemetenier.com
La rébellion Positive, Albin Michel, 2012.
Crise au travail et souffrance personnelle Albin Michel , 2011
(1)Frédérique Lallemend : psychologue, spécialisée en clinique du travail et en clinique du trauma, titulaire du diplôme de psychologue du travail du CNAM Paris et du D.U psychopathologie et psychotraumatisme de Paris VII. Expériences dans le monde de l’entreprise, des collectivités territoriales ou des associations. frederiquelalle@gmail.com06 50 33 32 35
Bibliographie
– Pezé Marie, Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés, éditions Pearson, 2008 et http://www.souffrance-et-travail.com
– Dejours Christophe, psychiatre psychanalyste, Souffrance en France – La banalisation de l’injustice sociale, éditions du Seuil, 1998
– Molinier Pascale, Les enjeux psychiques du travail. Introduction à la psychodynamique du travail. Petite Bibliothèque Payot, 2006
– Clot Yves (2010), Le travail à coeur : pour en finir avec les risques psychosociaux, La Découverte, 2010 et Quelques questions sur le stress au travail, Arte, 20 mars 2012
https://www.passeportsante.net/fr/Actualites/Dossiers/DossierComplexe.aspx?doc=souffrance-travail