Aujourd’hui, dans notre monde politiquement correct, les fumeurs sont particulièrement fustigés. Allumer une cigarette à un arrêt de bus vous expose au lynchage immédiat. Par contre, pas grand monde ne s’insurge, par exemple, contre les traitements chimiques des fruits et légumes (allant parfois jusqu’à 25 produits) que nous consommons chaque jour, la viande aux hormones, la pollution de l’air que nous respirons, les transports désorganisés, chers et bondés, les embouteillages qui bloquent quotidiennement des millions de personnes plusieurs heures par jour dans leur voiture, le bruit permanent du trafic, de la débroussailleuse du voisin ou des pubs sur tous les écrans.  Nous subissons ainsi bon an mal an de multiples agressions en tous genres, auquel il convient d’ajouter la mauvaise humeur et l’impolitesse ambiante. Alors voilà, le fumeur fait office de bouc émissaire, on dirait parfois qu’à lui seul, il prend pour tout le reste. Évidemment, il est plus facile de s’attaquer au fumeur qu’aux lobbies agricoles ou aux banques mondiales. Contrairement aux idées reçues, le fumeur n’appartient pas  à une race à part, il a juste une faiblesse, c’est son talon d’Achille, comme chacun a le sien.  Loin de moi l’idée de prendre sa défense envers et contre tout, mais ce petit préambule s’imposait, il se semble, pour remettre les choses à leur juste place, avant de proposer une réflexion autour de la question du tabac, une de plus direz-vous, mais qui a, je l’espère, le mérite de quitter les chemins battus : sortir du tabac peut être autre chose qu’affaire de volonté, d’interdictions, de faire-peur, de hausses des prix du paquet. Cette démarche différente s’appuie sur la prise de conscience de l’acte dans toutes ses dimensions.  Avec des répercussions sur tous les plans. En attendant, le fumeur, aujourd’hui victime des autres, est d’abord victime de lui-même.

Il se trouve que les fumeurs se trouvent être assez souvent plus sympa que les non-fumeurs, en tous cas c’est mon sentiment. Le temps de la clope est un temps de pause : on bavarde, on se détend, on s’ouvre peut-être plus facilement, protégé par la fumée. Le rideau du fumeur est fait de fumée, un rideau de fumée, contre sa propre incertitude. Car s’il s’est attaché des chaînes aussi solides, s’il s’est enferré dans une telle dépendance, s’il a renoncé à cette liberté-là au péril de sa santé, de son porte-monnaie et de bien d’autres choses,  c’est sans aucun doute par pure incapacité de vivre autrement. Ceci n’est pas une tautologie, mais plutôt une provocation destinée à relancer le questionnement, à appuyer là où précisément cela fait mal,  à aller mettre son nez au fond du cendrier ! Aujourd’hui, nombre de fumeurs prennent appui sur des béquilles : substituts nicotiniques, effort de volonté, peur de la maladie, etc.. Ces méthodes ont leurs limites, en particulier parce qu’elles utilisent le même mécanisme que celui qui a conduit à la consommation du tabac, l’absence de contact avec soi-même. Même en cas de succès, le fumeur reste souvent aux abois, ou bien il prend du poids, des anxiolytiques/anti dépresseurs etc., etc… Il doit fuir la drogue, au risque d’y retomber, parfois plus qu’auparavant. C’est sa boîte de Pandore, qu’il est condamné à ne plus jamais rouvrir.  

Et pourtant, prendre profondément et définitivement conscience de l’impact de la consommation de tabac sur soi-même est possible. Cette prise de conscience permet de se libérer sans effort de volonté, sans béquilles et peut conduire à une paix durable avec son attirance. Comme une mue dont on se déferait à jamais et qui peut, si on la rencontre ultérieurement, laisser aussi indifférent qu’une langue étrangère dont on ne comprendrait pas un mot. Même si le désir d’arrêter de fumer s’avère absent (par stress, par peur, par lassitude, par défi…), ce jeu-là en vaut la chandelle.  Avec pour objectif de  retrouver une liberté physique (un corps moins fatigué et en santé), une liberté psychique (la fin de la dépendance), une liberté économique (de l’argent en plus pour se faire du bien). Bien sûr, le parcours ne ressemble pas à une ligne droite, prévisible et semblable pour tous. Il est éminemment personnel et il mène à une connaissance augmentée de soi, de ce que l’on peut accepter de notre monde, de ce que l’on refuse, à une clarté plus vive concernant nos négociations permanentes avec notre environnement. Ce chemin  nous permet de fabriquer des outils qui nous aident à être mieux là où nous nous trouvons, ou à quitter ce qui ne nous convient pas, à redevenir les êtres créatifs que nous sommes par essence, à nous accomplir. Et si le tabac était une chance, une opportunité, juste un symptôme à accueillir avec une fine oreille, un bienvenu, un panneau indicateur vers une vie meilleure ? Et si arrêter de fumer, d’un coup baguette magique, se transformait non pas en chemin de croix, mais en une belle aventure à la rencontre de nous-mêmes,  de nos faiblesses, de nos douleurs et de nos frustrations ?

Raïssa Blankoff 

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