Le système digestif permet de réduire les aliments à leur plus simple expression pour pouvoir les assimiler, afin d’assurer toutes les fonctions de la vie en termes d’énergie et de construction-destruction : vivre, c’est construire et détruire de la matière grâce à des énergies. Pour accomplir plusieurs fois par jour ce travail de titan et de dentellière tout à la fois, ce deuxième cerveau fait appel à de très multiples commandes destinées à ouvrir tous les robinets nécessaires à la production et à la mise en circulation de ses outils, hormones, enzymes,  acides, stimulations du système nerveux… 

L’art de manger

Dès qu’une odeur alimentaire parvient à nos narines, et aussitôt à notre cerveau, les préparatifs sont lancés. C’est le branle-le-bas de combat dans notre intérieur pour préparer en vitesse tous les ustensiles de cette grande cuisine. Vous êtes devant votre assiette, en plus des odeurs vous avez la vision de belles nourritures, la salive vous vient à la bouche en apportant son lot d’enzymes, de messagers culinaires et toute une cohorte de spécialistes qui, de la bouche à l’anus, seront dépêchés pour réduire nos bouchées en micronutriments prêts à passer la barrière intestinale, une barrière est très sélective qui doit séparer les nutriments-amis des substances ennemies. 

Vous êtes-vous déjà franchement demandé comment le gigot d’agneau-purée, suivi d’un plateau de fromages puis d’une salade de fruits, arrosé d’un bon vin rouge, comment tout cela pouvait finir en un excrément compact, pendant que vous vous vous trouviez rassasié, avec une énergie renouvelée, sans que franchement vous n’ayez levé le petit doigt, sauf pour prendre votre fourchette ? Bon d’accord, mais…. Nous oublions souvent que notre bouche est pourvue de dents dont l’unique fonction est de mâcher. Nous les brossons plusieurs fois par jour pour avoir un sourire de rêve, mais il semblerait que nous ayons perdu de vue leur tâche première. Et le corps nous le fait bien payer : manger trop vite, sans mâcher, sans se poser, en regardant son mail ou la télé, a des conséquences déplorables sur la digestion : ballonnements, gaz, envie de dormir après les repas, maldigestion, douleurs, le cas échéant. Oh quelle mauvaise digestion, c’est vraiment la faute à ce tube digestif ! Que de soucis de ventre qui seraient résolus par de nouvelles habitudes.

Oui, mais manger lentement est devenu un luxe et une rareté. Notre mode de vie nous pousse à tout l’inverse. Se dire de manger plus lentement est au mieux un vœu pieu, jamais suivi d’effets. Alors, que faire ? Voici donc un coup de pouce, des expériences à tenter, pour rappeler à nos mâchoires et à nos sens comment se souvenir que l’estomac n’a pas de dents.

Une fois par jour ou par semaine, installez-vous pour un repas en pleine conscience. Créez un environnement favorable : pas de télé, pas d’ordinateur, éventuellement un peu de musique, un petit objet incongru, bougie, fleur, mots, dessin, photo campagnarde, qui pourra vous rappeler que vous partez en voyage pour un temps donné, et qu’il ne doit pas être interrompu. Sur un repas, une partie de repas, sur un goûter, sur une dégustation de pomme. Dans cette posture, il n’a rien à réussir, rien à rater, c’est juste une posture, une façon de se donner la chance d’être bien installé, le temps d’une dégustation, dans le moment présent. Donnez-vous, une fois devant votre assiette, une ou deux minutes de vacation, comme un temps qui servait autrefois à la prière, pour inviter votre corps à se poser, pour permettre aux cuisiniers intérieurs de se préparer. Profitez-en pour utiliser vos cinq sens, regarder nager les croûtons dans la soupe de poireaux, sentir la puissante odeur de l’ail frotté ou celle, caramélisée, de l’oignon bien cuit, entendre le bruit de dents sur la croûte de pain, sur la fibre de l’asperge, suivre la fraîcheur d’une gorgée d’eau qui dévale l’oesophage, ressentir puis continuer d’imaginer le chemin quand les uns et les autres cascadent vers l’estomac, un parcours de quelques secondes, qui les met définitivement hors de votre portée. Quelle confiance quand même il faut leur faire pour leur permettre ce voyage au creux de nous-mêmes… Au bout de quelques secondes, de quelques minutes, vous quitterez peut-être vos sensations, votre esprit se sera envolé vers d’autres contrées, les impôts à payer, le dîner du soir, le mail à envoyer… Qu’importe. Au moment où vous vous en apercevrez, vous le reconduirez doucement et fermement vers son présent, l’assiette qui fume devant vous, et ainsi autant de fois qu’il le faut, sans pour autant juger de ce qui se passe. Ce qui a lieu a lieu, un point c’est tout. Il n’y a aucun but, juste une posture-cadeau de présence à soi-même. Votre digestion en sera hautement améliorée, ainsi que votre esprit qui en profitera pour se reposer, et par là-même toute votre santé. A consommer sans modération. 

Raïssa Blankoff

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