Faire la paix avec soi-même

Dans la salle de stage, cinq femmes et deux hommes sont silencieux. Chacun se concentre. Pour que la prise de parole advienne comme dans un écrin. On n’est pas là pour raconter sa vie. Alexandre est venu avec un stylo, Zoé avec une boussole, Garance avec un oreiller, objets symboliques qui représentent pour chacun quelque chose de grand.

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« Je suis venue parce que mon mari a un cancer depuis 10 ans, que j’ai trois enfants, que je travaille, que je m’occupe de lui, que j’aime aussi un autre homme et que je me sens coupable et que je ne sais plus quoi faire ». « Je suis venue car j’ai 45 ans, je n’ai jamais connu d’homme, mais chez moi j’ai connu la violence de mon père et de mes frères, et je n’arrive pas à reconstruire une vie pour moi”.  “Je suis venue car je suis née d’un viol et ma mère ne veut rien m’en dire, et j’ai le sentiment que je ne pourrai pas me construire avec ce secret. » « Je suis venue car enceinte de mon fils, j’ai été violée, je ne sais pas si je dois lui dire maintenant qu’il est adulte et qu’il rencontre des problèmes dans sa sexualité ».”Je suis là car je voudrais tant être mère, et l’enfant ne vient pas.” “Je suis ici car je suis lasse et cherche des motivations.” “Je suis venue car depuis ma retraite, je ne trouve plus de satisfactions”. “Je n’ai jamais été bien dans mon travail, je sens qu’il est temps de trouver ma voie professionnelle, mais j’ai tant de doutes”. Des situations parfois difficiles mais aussi un état latent de fatigue ou une insatisfaction ponctuelle sont autant de raisons d’être là.

Une phrase suffit parfois au travail d’une semaine. Et Sarah est là, avec ses oreilles grand ouvertes, son cœur où chacun peut picorer, ses injonctions parfois fortes mais jamais blessantes, son regard qui interroge, qui encourage, qui partage, qui tranche, qui porte. Ses interventions, d’une justesse impressionnante, permettent à chacun des pas de géant, et dans l’émerveillement de soi. Les mouchoirs trempés essuient des larmes et encore des larmes, bien sûr, mais ces larmes-là soulagent, lavent, éclairent, nourrissent, libèrent.
« Il y a des scénarios de vie dont nous nous accommodons mal et qui nous empoisonnent, qui nous font tourner en rond sans que nous trouvions issue ou réponse. Ces scénarios sont susceptibles de se présenter de plus en plus fort jusqu’à ce que la souffrance soit plus grande que la peur de changer » nous dit Sarah. « Par exemple, quelqu’un qui a peur d’être abandonné ira vers un amoureux qui a peur de s’engager, bien que le contraire lui soit plus favorable. »

Chaque personne travaille en fonction de ses possibilités et de son désir. Il n’y a aucune obligation de monter sur la « scène », être spect-acteur est déjà suffisant, être là suffit : pour la raison simple qu’il s’agit de réagir, et non d’agir. Monter sur scène c’est dire oui, mais rester assis c’est dire non et c’est égal. Refuser, c’est prendre le même risque qu’accepter. En réalité, l’important se joue ailleurs, dans la collision des images que chacun se renvoie. La puissance des réactions, leur côté fabuleusement imprévisible, ne saurait se dire en quelques lignes. « Qu’on se rappelle le théâtre grec », dit Sarah. « Il ne faisait pas autre chose ». Quand on pleure au spectacle, que pleure-t-on ? Ce que nous voyons, vivons et auquel nous réagissons, n’est pas juste une pièce rapportée le temps d’un soir et qui ne nous concerne pas directement, elle nous parvient à travers notre histoire et nous interpelle. Le tiers qui fait figure nous donne à vivre nos émotions, et élargit notre pensée sur nous et sur le monde.
Comme toute thérapie basée sur l’expression artistique, le psychodrame proposé par Sarah dégage un espace de liberté intérieure qui laisse place à des réponses nouvelles. « Un traumatisme rejoué change de statut. Toute deuxième fois est libération de la première. »

Annette, 42 ans, avait le sentiment d’avoir été un enfant non désiré, elle en avait même les preuves, disait-elle. Personne, jamais, ne l’avait bordée, personne ne s’était assis au bord de son lit pour lui raconter une histoire, elle n’avait jamais reçu un cadeau, même pas une petite peluche. Ce n’est pas par hasard si l’objet fétiche ou talisman, déposé devant elle, était un petit ourson. Depuis plusieurs jours, elle s’était enfermée dans une couverture grise d’où n’émergeait que sa tête. Elle choisit Claire pour figurer sa mère et nous voilà partis pour l’accouchement, sans costume, sans décor, retenant notre souffle. Claire est allongée, Annette roulée en boule à côté de lui. Rien ne se passe et tout se passe. Tout se dit dans le silence entre la mère et la fille. Vous qui regardez cette scène, vous saurez à coup sûr si cette histoire est la vôtre aussi. Reconnaissant et assumant sa propre naissance, Annette finira par accepter de renaître parmi nous. Nous l’avons accueillie chaleureusement, déposée dans une couverture douce et soulevée pour la bercer longuement sur des mélodies murmurées, puis bordée, et assis tout autour, nous avons inventé, ensemble et pour elle, la plus belle histoire de tous les temps. Et notre joie était démultipliée de la voir sourire les yeux fermés, et d’être si fiers d’improviser tout à tour avec un tel talent! Ensuite, plusieurs jours durant, Annette a affronté ses démons et ses peurs, dévidant sa pelote, pleine de piquants. Et ce ne fut pas chose aisée. Mais au bout du compte, si je l’osais, je dirai d’Annette que je l’ai vue peu à peu ressusciter à elle-même.

En cinq jours seulement, nous avons chacun fait le tour de nous-mêmes, nous avons basculé, nous avons changé nos yeux, nous avons écouté au lieu d’entendre seulement, nous avons mué, nous avons donné et gagné. Nous sommes méconnaissables, et si heureux de l’être. Le paysage autour de nous n’a pas changé et nous, plus vrais que nature, nous regagnons notre vie en chantant.

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Sarah Serievic : ancienne comédienne, diplômée de l’Ecole française de Psychodrame, formée par Anne Ancelin-Schutzenberg.
Auteur de « Passage à l’acte de vie » et « Rompre avec nos rôles », Editions le Souffle d’Or
www.sarah-serievic.com
info@sarah-serievic.com
Tél. : 01 47 47 60 32

Stages : (12 personnes maximum)
En week-ends à Paris 15ème, 5 week-ends par an ; un week-end : 220 euros, 5 week ends : 950 euros. Egalement en week-end à Bruxelles.
Stage résidentiel au château de Goutelas (42), deux fois par an avec masques. Prochain stage : 19-25 avril 2009

Date de la dépêche : 04 juillet 2009

Auteur : interview réalisée par Raïssa Blankoff, journaliste et créatrice du site www.lagrandesante.com