Pour le petit d’homme, pendant les 6 premiers mois de sa vie au minimum, rien ne vaut le lait humain. C’est la nourriture la plus complète et la plus parfaite, la plus désirable sur tous les plans. Exactement de la même façon que le lait de vache constitue l’aliment le plus parfait pour les veaux, le lait de jument pour le poulain, le lait de la chatte pour le chaton. La composition du lait s’adapte sans cesse aux besoins du bébé : par exemple, s’il naît prématuré, il bénéficiera d’un mélange optimal de nutriments calqués sur ses besoins à ce moment-là de son développement et même sur son besoin au moment précis de la tétée.  La composition du lait se modifie ainsi en fonction de l’âge du bébé, de la température extérieure, du taux d’humidité environnant. Comme si le bébé transmettait à sa mère, par des voies demeurées mystérieuses à notre entendement, ce dont il avait pour se construire physiquement et affectivement à chaque tétée, et même au cours de la tétée puisque la composition du lait varie du début à la fin, d’un sein à l’autre. Quelle horlogerie fine à qui sait la lire et l’entendre !  Qui peut mieux faire ? L’alimentation maternelle est, sans conteste, la meilleure en termes de croissance, mais également en termes de développement psychique. Cette affirmation ne relève ni d’une idéologie, ni d’une croyance mais  d’une réalité scientifique aujourd’hui largement prouvée. Chaque jour, de nouvelles découvertes permettent de mieux comprendre pourquoi cette nutrition naturelle et cette relation maman-bébé devraient figurer en grandes lettres sur les portes de toutes les maternités. Affirmer le contraire relève tout simplement de l’ignorance.

Un  peu d’histoire … Il faut imaginer que depuis l’apparition de l’homme sur terre, l’allaitement de la mère ou d’une mère de substitution, était incontestablement la seule possibilité de nourrir les nourrissons. Et ce n’est que tout récemment, depuis l’après-guerre et ceci dans nos pays occidentaux, que la possibilité de donner un lait maternisé a vu le jour.  L’opportunité d’un immense marché pouvant rapporter gros a dépossédé petit à petit les mères de ce lien unique, le plus précieux possible. A grands coups de campagne de pub, le lait maternisé est entré dans les hôpitaux et les cliniques jusqu’au chevet des mères, qui recevaient avant même d’accoucher, la fameuse mallette cadeau. Le travail des mères à l’extérieur de la maison a certainement aussi favorisé cette délégation de la manne maternelle à des artifices qui ne lui arrivaient pas à la cheville. Le  Dr Michel Odent, gynécologue obstétricien de renom, qui a défendu toute sa  vie le droit à un accouchement le plus physiologique possible, a constaté que la manière d’accoucher  influait directement sur le choix de l’allaitement, naturel ou artificiel. Il a souligné que l’assistance médicale (pharmacologique ou chirurgicale) trouble le processus et la nature du lien. Les cultures dans lesquelles nous baignons jusqu’à la moelle font de nous des êtres différents selon le lieu de notre naissance sur terre, et pourtant notre dénominateur commun, jusqu’à tout récemment, était que nous avions connu pendant les premiers mois de notre vie le seul mode d’alimentation universel, l’allaitement maternel, nous avions tous, autant que nous sommes sur cette terre, fait expérience commune : peau à peau, le nez plongé dans la chaleur et les odeurs maternelles, le regard plongé dans le sein, nous entrions en contact avec le monde. Pas plus tard qu’hier dans un café, je voyais une mère donner le biberon à un tout-petit : tous les deux bien engoncés dans leurs manteaux, lui sur ses genoux, faisant dos à sa mère, une tétine dans la bouche, pendant que sa mère bavardait au téléphone. L’enfant ne suçait pas, il était immobile. Sans jeter la pierre aux femmes qui se tournent pour de multiples raisons, bonnes ou moins bonnes, vers le biberon, je voudrais insister sur l’importance de la qualité du temps donné au bébé et de la disponibilité qu’on est prêt à accorder au tout-petit….

L’Organisation Mondiale de la Santé établit la classification suivante en matière de la sécurité des laits : en premier, le lait de la mère pris directement au sein ; en second, le lait de la mère autrement qu’au sein ; en troisième, le lait d’une autre mère ; en quatrième position, le lait industriel.  

Parmi les autres avantages de l’allaitement naturel : la baisse de la mortalité infantile pour les bébés nourris au sein (16), une meilleure protection immunitaire ; les bienfaits de l’« hormone de l’amour » (20) qui génère du calme pour la mère et l’enfant et qui, le cas échéant,  diminue la douleur couplée à la bêta endorphine ; la gratuité du lait  (coût du lait maternisé : entre 1200 et 1800 euros par an et par bébé pour le seul lait industriel) ; l’impact environnemental nul, alors que la production de lait maternisé génère un gaspillage colossal : l’emballage des laits (550 millions de boîtes jetés par an, 1230 tonnes de papier pour les étiquettes),  la fabrication des biberons (en moyenne 6 par bébé), tétines, pollution dramatique des perturbateurs endocriniens, dont le fameux bisphénol A dont on découvre maintenant l’influence délétère sur l’équilibre hormonal chez les bébés filles et garçons, les déchets issus des biberons et tétines jetables, les processus industriels des laits maternisés qui consomment énormément en énergie de fabrication et enfin les transports des boîtes du producteur au consommateur sur parfois plusieurs milliers de km… Sans compter la stérilisation de l’eau, des biberons, des tétines qui représentent un coût certain et un stress pour les mères des pays du Sud limités en eau. Ah j’oubliais, le papier dépensé en les moyens publicitaires destinés à encourager l’achat de ces produits. Juste pour donner une petite idée… Bilan du lait maternel : zéro déchet, zéro emballage, prêt à l’emploi, à température idéale, disponible en toutes circonstances, idéale dans sa composition pour le bébé, et si bon à donner.

Quelques chiffres : en Scandinavie, 98 % des bébés sont allaités. En France , un peu plus de deux tiers des nourrissons (69,1 %) sont allaités à la maternité (60 % de façon exclusive, et 9 % en association avec du lait artificiel), mais ils ne sont plus que la moitié (54 %) à être allaités un mois plus tard, dont seulement 35 % de façon exclusive. Les autres résultats confirment ce qu’on sait déjà par de nombreuses autres études épidémiologiques, que ce soit en France ou à l’étranger : les femmes allaitent davantage si elles ont un niveau d’études supérieur, si elles sont plus âgées, mariées, qu’elles n’ont pas fumé pendant la grossesse, qu’elles ont suivi des cours de préparation à l’accouchement, qu’elles ont eu un contact peau à peau avec leur bébé dans l’heure suivant l’accouchement, et surtout si leur conjoint a une perception positive de la femme qui allaite (1).

Quelques obstacles à l’allaitement : 

  • la perte de liberté : oui, un nouveau-né demande beaucoup de temps et d’attention et  l’allaitement est plus contraignant du fait qu’il ne peut être délégué.  Prenez le temps d’être mère, quelques semaines, quelques mois si vous le pouvez, ce temps est unique et passe très vite, et vous gagnez du temps sur l’avenir (bébé souvent moins malade, parfois moins anxieux)
  • Moins d’heures de sommeil : pas toujours pour très longtemps, quelques semaines. 

Lorsque bébé fait la sieste, profitez-en pour faire de même. Acceptez l’aide de votre entourage et concentrez vos énergies sur vous et votre bébé. Le papa peut également vous délester dans d’autres domaines : en changeant la couche de bébé la nuit ; en vous apportant bébé au lit pour que vous l’allaitiez ; en s’occupant des courses, des repas et du ménage.

  • Les fuites de lait : il existe des coupelles et des coussinets de coton conçus pour dissimuler les pertes de lait susceptibles de se produire.
  • Les seins abîmés : vergetures, cicatrices, déformations… Ce qui abîme les seins, ce sont les changements brusques de volume, comme la prise de poids en début de grossesse, un engorgement les premiers jours ou un sevrage brutal. Évitez ces désagréments en mettant bébé au sein rapidement, en augmentant le nombre de tétées au cours des premiers jours et en effectuant le sevrage en douceur. Dans le cas de seins lourds et volumineux, un bon soutien-gorge d’allaitement est essentiel, le jour comme la nuit, pour soutenir les seins sans les comprimer.
  • Les maladies et les médicaments. Peu de maladies empêchent d’allaiter à l’exception d’un cancer du sein, d’une infection au VIH, d’un usage de drogues, d’une consommation élevée d’alcool, de certains médicaments et de maladies infectieuses comme la tuberculose, la malaria ou la fièvre typhoïde. A discuter de préférence avec un pédiatre spécialisé en allaitement, si vous êtes dans ce cas (2).

Quelques pistes pour agir en faveur de l’allaitement : faire intervenir en collèges, lycées et établissements d’enseignement supérieur des professionnels de l’allaitement qui sauront donner une information scientifique et pédagogique ; encourager les initiatives locales (aide, réseau, informations) ; soutenir la Leche League ; former des pédiatres, des médecins généralistes, des sages-femmes, des infirmières, des puéricultrices ; proposer une aide gratuite dans les PMI et à domicile. Veiller à ce que le personnel des maternités soit formé de façon à pouvoir initier et soutenir véritablement les parturientes  dès la naissance en s’assurant d’une possibilité de suivi à domicile, si nécessaire. Sensibiliser les entreprises à cette œuvre de salut public pour permettre aux femmes de prolonger leur congé maternité pour allaitement sans retombées négatives lors de leur reprise et en prévoyant des dispositions pour des journées allégées pour la période de sevrage.  Etc., etc…

Cette conclusion s’adresse aux femmes qui n’ont pas choisi l’allaitement : aujourd’hui, le niveau d’études et d’expérience des femmes, leur statut professionnel, leur place et leur rôle dans la société,  la mentalité du tout-tout-de-suite-tout-le-temps, la course contre la montre, le stress chronique, ou d’autres considérations plus personnelles,  poussent environ la moitié des femmes en France à choisir  la lait maternisé pour leurs bébés. Concevoir un enfant, l’accoucher, l’élever (et le mot est bien choisi) demande une infinie disponibilité, une infinie patience, une grande  écoute et beaucoup de remises en question personnelles. Dans la balance, vos moyens financiers, votre statut social, vos avoirs, comptent peu.  C’est vraiment une grande œuvre, et elle mérite toute votre attention, elle a un début, mais pas de fin. Prenez le temps de ressentir au fond de vous ce qui vous agrée le mieux, indépendamment des contraintes extérieures, faites-le savoir et trouvez le soutien nécessaire à l’accomplissement de votre désir profond.

(1) Premiers résultats de l’étude Epifane (Epidémiologie en France de l’alimentation et de l’état nutritionnel des enfants pendant leur première année de vie) publiée dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) de l’Institut national de veille sanitaire (InVS), 18 septembre 2012

(2) Extenso, Centre de référence sur la nutrition humaine. Extenso a pour mission de sensibiliser la population à une meilleure santé nutritionnelle à travers une interprétation objective et une diffusion efficace des connaissances scientifiques actuelles en matière de nutrition.

Le problème avec l’allaitement, Réflexion personnelle, James Akré, Editions du Hêtre, 2009

Le guide de l’allaitement naturel, Nourrir son enfant en toute liberté, Ina May Gaskin, Mama éditions, 2012

La Leche League : http://www.lllfrance.org/