Laurence Bibas est instructrice de Pleine Conscience (PC). Son choix de vie et de métier prolonge un parcours spirituel qui a commencé il y a 15 ans quand elle s’est instruite en méditation auprès de maîtres tibétains pour tenter d’approcher le chant des grandes questions-réponses sur la vie. Si un grand nombre de personnes qui se sont formées à la PC venait de cet horizon, il s’élargit aujourd’hui grâce aux recherches cliniques et médicales de son éminent représentant américain, Jon Kabat-Zinn qui a établi des liens probants entre guérison et conscience du moment présent.
Ouverture en France d’un diplôme universitaire de méditation de pleine conscience
« J’y suis venue comme une évidence, c’est ma façon d’offrir aux autres ce que j’ai reçu de mes maîtres tibétains dans cette société où je vis, où j’élève mes enfants, où je travaille. Car la méditation, qu’elle soit spirituelle ou non, nous permet de mieux « être » à nous-mêmes tout simplement.»
Une manière simple et concrète de pratiquer la PC est le suivi d’un programme qui s’intitule « Programme de réduction du stress par la pleine conscience », MBSR (Mindfulness Based Stress Reduction pour les initiés) : il vise la réduction du stress et des troubles anxieux, des douleurs chroniques, des troubles du sommeil et de diverses pathologies psychosomatiques ou physiques.
Le programme fonctionne grâce à une boîte à outils dont le principal est la respiration. « Je n’avais pas conscience de ma respiration, j’en ai découvert la puissance et la simplicité, et je sais aujourd’hui y revenir à tout moment » explique Laurence.
Vive le présent!
Un autre outil ou atout repose sur le ressenti des sensations corporelles. Quand une personne se plaint de son stress, il est rare qu’elle en perçoive directement les symptômes dans son corps, souvent elle se dit stressée et, par ailleurs, elle dort mal, elle a mal au ventre, elle a des migraines. Ce programme permet de relier les deux versants, autrement dit l’approche corps-esprit de plus en plus plébiscitée par les malades, ou les personnes anxieuses ou déprimées. Même des personnes qui ont derrière elles plusieurs années de yoga, de Qi gong ou de relaxation trouvent un bénéfice car, au delà du mouvement et de la respiration, la PC conduit à entrer totalement en contact avec le moment présent, en reconnaissant les perturbations, souvent inconscientes, du mental. Ce que nous pourrions également appeler les pensées « ruminatives » qui consomment une énergie absolument colossale et nous alourdissent. Qui peut dire : le matin, en prenant ma douche ou en me brossant les dents, je ne suis pas complètement présent dans cette action et pas en train de penser au repas du soir ou aux problèmes de la journée ? L’idée, c’est de ne pas avoir la tête ailleurs, quoi que l’on fasse. « Quand je mange, je mange, quand je dors, je dors … » dit le proverbe zen.
Permis de conduire sa vie
Entraînement et engagement sont les deux piliers incontournables de ce programme. Comme on apprend à conduire – et on sait combien ça peut être fastidieux le cas échéant – on apprend à vivre en PC. Au plus on pratique, au plus on est agile et tranquille dans la conduite de sa vie, comme de sa voiture.
Le programme MBSR, proposé par Laurence Bibas à Paris, se déroule en 8 semaines, une soirée par semaine de 19H à 21H30, en groupe. La séance guidée débute toujours par une pratique de 45 minutes, c’est la pratique formelle. S’y ajoutent d’autres entraînements informels à renouveler pendant la semaine comme « L’espace de respiration » qui dure 3 minutes. Pendant la première minute, Laurence propose de prendre conscience de ce qui se passe : par exemple, je me rends compte que je suis stressée, que j’ai des idées qui tournent tout le temps dans ma tête et que des sensations ou des émotions sont présentes ou me traversent, on en prend note. La deuxième minute permet de focaliser son attention sur les sensations de la respiration et d’y revenir, malgré les distractions de l’esprit. Le troisième temps est destiné à élargir la conscience au corps entier et à ressentir son corps comme un tout.
Un parcours de huit semaines à émietter petit à petit
Cette pratique constitue une véritable aide au changement d’état d’esprit et équilibre les humeurs. Elle déclenche une attitude d’acceptation bienveillante vis-à-vis de soi-même et des événements qu’on peut rencontrer. Ce parcours de 8 semaines débouche sur une prise de conscience progressive qui permet de développer la PC selon la définition qu’en donne Jon Kabat-Zinn, « de diriger son attention d’une certaine manière, délibérément, au moment présent, sans jugement de valeur ». Il ne comporte aucune connotation religieuse. « Facile », diront certains, « facile à dire » diront d’autres. « Pendant le programme de huit semaines, on passe tous par des états d’esprit différents, grâce au temps qu’on s’octroie pour apprendre. A certains moments, on peut expérimenter une lutte intérieure, mais l’essentiel, c’est juste de se remettre à l’ouvrage avec douceur et gentillesse pour soi-même. Refaire autant de fois que nécessaire l’aller et retour entre la distraction et la conscience », précise Laurence.
On apprend à mettre en place des outils comme le scan corporel, la méditation assise, ou à vivre la PC en marchant ou en mangeant. Tous ces exercices visent à accéder directement à l’expérience de la PC et à accéder à des micro prises de conscience du courant de nos pensées : « j’ai eu plein de pensées négatives, je n’ai pas bien médité » ou « je me suis ennuyé, j’attendais juste que ça se finisse », ainsi que des émotions qui les accompagnent. Chaque séance offre de nouveaux apprentissages par thèmes, un temps est consacré au feedback des participants et se termine par une pratique finale. Entre chaque séance de groupe, il est demandé de s’entraîner 45 minutes par jour chez soi à l’aide d’un CD. Ces expériences à domicile font aussi l’objet d’un feedback pendant le cours. Chaque semaine, le programme prévoit aussi des pratiques informelles comme les « 3 minutes de respiration » (à des moments plus ou moins agréables, en cas de fatigue ou de difficulté) et également l’observation en PC des activités de routine comme un brossage de dents : sentir la brosse sur la gencive, le goût du dentifrice, le bras qui porte la brosse à la bouche.
Entre l’attention et la distraction
Cette pratique de PC se caractérise par l’observation de cet aller et retour entre l’attention et la distraction, l’essentiel est de distinguer les deux, de moment en moment et de s’entraîner à « être pleinement présent» dans tout ce que l’on fait.
« Depuis que je pratique la mindfulness, je suis plus présente quand je marche ou pratique une activité physique, je me sens plus stable, le corps s’ancre au niveau du ventre avec la respiration, je me sens lestée et je sais que je peux compter sur moi, c’est très concret et j’augmente la capacité à utiliser mes ressources et de mes potentialités, ça a constitué un changement très important dans ma vie. C’est l’inverse de la fuite, c’est une reconnexion avec moi-même grâce au corps et à la respiration », dit Laurence.
Dernièrement un participant faisant état d’une souffrance sans diagnostic établi est venu en me disant très dubitativement : « c’est mon kiné qui m’envoie, je considère que c’est ma dernière chance, j’ai tout essayé ». En fin de compte, de tout le groupe, c’est celui qui en a tiré le plus de bénéfice, il dort beaucoup mieux, se sent moins fatigué, a moins de douleurs de dos, récrimine moins contre lui-même. Il a commencé à découvrir des aspects de sa vie qui vont bien.
Une fois le programme terminé, on est équipé pour continuer avec sa propre pratique. La PC est « simple mais pas facile », car c’est un engagement quotidien pas une recette ou une technique. Et parfois, par exemple, en traversant une épreuve, on peut se trouver découragé, et se dire : je ne suis plus comme avant, je n’arrive plus à faire ci ou ça et ressentir le besoin de renouer avec une pratique délaissée. Ce qui explique que certains refont les huit semaines pour retrouver le soutien du groupe et renouer avec les expériences de bien-être ressenties auparavant. D’ailleurs, des ateliers de suivi se tiendront bientôt une fois par mois pour ceux qui ont besoin de s’y ressourcer.
Apprendre à être gentil avec soi-même
Qu’on ait affaire à un malaise diffus ou à une souffrance mentale, comme la dépression, ce programme répond bien. Il permet d’observer ce qui se passe en nous sans entrer dans la pathologie. Il s’agit bien plus de s’aborder avec une curiosité bienveillante, sans essayer de se changer, on pourrait dire qu’il s’agit d’une possibilité d’entrer en amitié avec soi-même. On réalise qu’il est possible d’être gentil avec soi. On désamorce les comportements critiques envers soi. Au contraire, on permet à des énergies positives de s’amplifier dans notre caisse de résonance intérieure. Pour certains, c’est un pas déterminant vers la guérison ou la résolution des problèmes.
L’ennui ou l’agitation font vraiment partie de la pratique, et ces états exprimés permettent d’approfondir le travail, de creuser le temps présent : est-ce une pensée? un sentiment de lassitude ? une émotion ? que signifie ce que vous qualifiez d’ennui ? ou d’agacement ? L’instructeur, par ses questions, constitue un vrai soutien bienveillant du groupe. Il est très présent, il pratique en même temps et sécurise. « Mais ne vous y trompez pas », dit Laurence, «on rigole beaucoup, il y a un côté très léger. On est tous des défricheurs, et tous, on trouve des pépites d’or, des moments de conscience rafraîchissante. Ce n’est pas toujours facile car on a d’autres habitudes d’être, mais la récompense est là.».
En pratique
Les groupes sont mixtes, aujourd’hui à parité égale, de tous âges et tous horizons. Aux Etats-Unis, des programmes pour enfants et ados se développent mais ce n’est pas encore le cas en France. Aux Etats-Unis, ce programme existe depuis 30 ans dans 250 cliniques et depuis plusieurs années, on trouve des instructeurs en Europe, en Angleterre, en Allemagne, en Belgique, en Suisse, et plus récemment en Europe du Sud, France comprise. 18 000 personnes ont, à ce jour, suivi ce programme. On peut dès lors mesurer, grâce à des études scientifiques, le vrai bénéfice de la PC.
Jusqu’à ce jour, il n’existait pas de formation en France. Laurence Bibas s’est formée en Suisse et en Allemagne. Avec quelques instructeurs, issus de la pratique méditative ou des Thérapie Comportementale et Cognitive (TCC), vient de se créer en France l’Association pour le Développement de la Mindfulness, basée sur le travail et les conseils de Jon Kabat-Zinn et autres professionnels de santé reconnus comme par exemple Christophe André, psychiatre à l’hôpital Ste Anne à Paris. Il existe une variante de MBSR qui est le MBCT (Thérapie cognitive basée sur la Pleine Conscience) qui a été développée par le canadien Zindel Segal et associés. Ce qui différencie la MBCT c’est qu’elle se livre à un travail plus fin sur le mécanisme des pensées, utile dans les cas de la prévention de la dépression, par exemple. Le MBSR s’attache plus à l’expérience de la PC sur le stress au sens large et moins à l’observation des pensées « ruminatives » et à ses implications dans nos choix de vie.
En moyenne, sur dix participants, cinq vont vraiment s’engager et concrètement changer grâce à la PC, trois vont se limiter à une compréhension intellectuelle en s’engageant plus ou moins, on parlera de changement cognitif, ils entreverront la possibilité de changer sans s’investir plus concrètement, ils saisiront l’alternative qui agira comme un germe. Deux personnes décrocheront en venant épisodiquement. Ce qui fait la différence ? L’engagement vis-à-vis de soi-même en passant par une pratique régulière, c’est tout.
Raïssa Blankoff
Bibliographie :
Jon Kabat-Zinn (MBSR)
ï Où tu vas, tu es : apprendre à méditer pour se libérer du stress et des tensions profondes, Poche J’ai lu N°7516, 2005
ï L’éveil des sens, Ed. Les Arènes, 450 pages, 27 euros
ï Au cœur de la tourmente, la pleine conscience, MBSR, la réduction du stress basée sur la mindfulness : programme complet en 8 semaines, Préface de Christophe André, Editions de Boeck, carrefour des psychothérapies, 565 pages, 2009
Edel Maex (MBSR)
ï Mindfulness : apprivoiser le stress par la pleine conscience, Un programme d’entraînement de 8 semaines, préface Jon Kabat-Zinn, Ed de Boeck, 83 pages, 2007
Jerry Braza
ï Pleine conscience, vivre dans l’instant, préface Thich Nhat Hanh , Ed Le Souffle d’Or, 130 pages, 2007
ï Zindel Segal et associés (MBCT)
ï La thérapie cognitive basée sur la pleine conscience pour la dépression, Une nouvelle approche pour prévenir la rechute, Zindel V. Segal, J. Mark G. Williams, John D. Teasdale, Préface de Christophe André et Matthieu Ricard, Ed de Boeck, 375 pages, 2006
Egalement :
ï La méditation, art de vivre au quotidien, Laurence Luyé-Tanet, Eyrolles, 2010, 14 euros accompagné d’un CD proposant une heure de méditation en 4 séances
Chuuut…, petit guide illustré pour méditer autrement, Matthew Johnstone, Editions du Dauphin, 2013, 12,50 €
Contact et information sur les programmes : Laurence Bibas et d’autres instructeurs en France et en Europe francophone animent les programmes de 8 semaines MBSR et MBCT :
www.stress-mbsr.fr
www.association-mindfulness.org
www.ecsa.ucl.ac.be/mindfulness
www.santeglobale-paris15.com
Vous pouvez également télécharger des programmes de méditation et de relaxation sur la page d’accueil du site, cliquez sur Téléchargements. Vous y trouverez des modules de méditation et relaxation interactive et audio mis en place par les services du Professeur Servant du CHU de Lille, ou directement sur http://www.symbiofi.com/a/lagrandesante
Ilios Kotsou
Petit cahier d’exercices de pleine conscience, Jouvence 2012, 6,90 euros
Date de la dépêche : 24 décembre 2009
Auteur : interview réalisée par Raïssa Blankoff, journaliste et créatrice du site www.lagrandesante.com